A un tournant de son existence Jean Prod’hom s’en va. Il part marcher entre
betteraves, blocs erratiques et chardonnerets direction le Seeland. L’écrivain se
place en retrait comme spectateur de cette nouvelle vie. Sur sa route des
rencontres, une nature bouleversée. Une stupeur et en même temps un amour éperdu
pour ce quelque chose de vivant autour de lui.
Oscar, le chien nous accueille joyeusement au Riau où il vit avec son maître et sa
famille. Une maison nichée en pleine nature dans un havre de paix où tessons, livres
et plantes cohabitent dans le jardin d’hiver. Le feu crépite, dehors il pleut et
l’air est frais, on est dans le Jorat. Jean Prod’hom nous parle de « Novembre » ce
livre qu’il n’attendait pas. L’homme face à un moment important de sa vie nous
emmène sur « sa route » faite de sillons inégaux. « Je n’ai donc pas pris la
direction du sud où l’homme rêve son avenir mais celle de ces terres du Nord que les
hommes ont trop souvent désertées, là où le présent bégaie, l’avenir hésite et le
passé s’attarde … ».
Un ami du narrateur est en train de mourir. Jean, de sa marche solitaire, dans la
région des Trois-lacs, décrit le chamboulement d’une nature aimée. « On ne sait
jamais lorsqu’on marche si on s’éloigne de chez soi ou si on s’en approche, si on
dit adieu ou bonjour à la vie, ou si c’est un tout ». Quelques chardonnerets
s’envolent vers une jachère « La pensée que le gros de leur vie se déroulerait
dans ce lopin de terre, à s’en satisfaire, me rendait jaloux… jusqu’au moment où un
bruit de tracteur et des voix au loin m’apprennent que la jachère serait bientôt
détruite. J’ai imaginé les oiseaux nicheurs en mai, que personne n’aurait avertis de
cette disparition de la jachère, perdus sans comprendre, condamnés à trouver dans
l’urgence, s’il y en avait et le dénichait, un lieu où construire leur nid ». Sans
eux, l’étendue ressemblerait à un désert sans relief, et nous renverrait les
battements du coeur d’une coque vide ».
L’auteur de Novembre apprendra avec un jour de retard la mort de l’ami. « Ce
n’était point une balade ni une excursion, une randonnée, un journal, une errance ou
un voyage, mais un peu de tout cela : marcher constitue sans doute la seule manière
d’approcher ce lieu mystérieux où le passé et l’avenir se replient sur le présent,
de rejoindre cette chose qui, autour de nous précède toute succession …
Alors qu’il s’apprêtait à mettre un point final à ce récit. Jean Prod’hom fit la
connaissance de Peter Thomet (ancien ingénieur agronome de la Haute école des
sciences agronomiques, forestières et alimentaires de Berne). « Pour me présenter je
lui fis part des éléments qui m’avaient conduit jusqu’à lui : des chardonnerets et
du sucre, des prisonniers du Grand-Marais, des cimentiers d’Eclépens, la grande
Cariçaie, Rousseau et Robert Walser, et le bassin de retenue de Port, qui est la
clef de voûte de ce pays des Trois-lacs ». Les deux hommes sont allés faire un tour
dans la campagne et avant de se quitter « Peter ramassa une poignée de cailloux,
qu’il déposa dans ma main …».
Le voyage pend fin au Riau, Oscar regarde cet homme épuisé et émerveillé, une carte
postale entre les mains laissée par l’ami tel un testament. Il a cessé de pleuvoir.
J’emporte Novembre, enfoui dans mon sac, compagnon d’une prochaine marche dans le
Seeland ou ailleurs.
Jean Prod’hom, né en 1955, vit dans le Haut-Jorat. Il a publié Tessons aux éditions
d’autre part en 2014 et Marges chez Antipodes en 2015. Novembre, éditions
d’autre part, Genève, novembre 2018.
Dany Schaer
Paru dans le Journal de Moudon et l’Echo du Gros-de-Vaud, juin 2019
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