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Interview de Christoph Blocher

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Herrliberg

Le coup de cœur de Christoph Blocher:
une île pour la musique


Voilà bientôt deux ans que l’homme politique a fait ses adieux au Conseil fédéral. Il a raccroché ses complets-cravates pour une tenue plus décontractée, celle d’entrepreneur en idées nouvelles. Et pourquoi pas une fondation dédiée à la musique? Christoph Blocher s’accorde quatre ans pour réaliser son rêve : «L’Ile suisse de la musique de Rheinau». Il investit 20 millions pour offrir une base de fonctionnement solide au nouveau centre musical suisse, le canton de Zurich assurant pour sa part la restauration du monastère. Le projet est ambitieux, mais l’homme d’affaire, entrepreneur et politicien le plus médiatisé du pays, est un battant.

Une fin d’après-midi d’été, le portail s’ouvre sur la somptueuse propriété des hauts de Herrliberg : un paradis aux plates-bandes fleuries et bien rangées. Style hollywoodien, la maison est lumineuse, entourée d’arbres dont l’ancêtre s’est métamorphosé en ours sculpté dans son tronc. Au centre de la pelouse, la piscine dont le fond garni de pierres de taille donne à l’eau une limpidité naturelle. Les coins de repos sont dispersés ça et là. Canapés, petits fauteuils et terrasses donnent sur le lac de Zurich et les montagnes. Dans la cour d’entrée, un taureau prêt à charger accueille le visiteur, sculpture dont le maître des lieux aime à caresser les flancs avec humour.

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Entretien avec Dany Schaer

La plupart des milliardaires vivent dans l’oisiveté. Vous, vous investissez dans l’ancien monastère de l’île de Rheinau. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

Christoph Blocher. Je suis très attaché à la région. J’ai habité toute mon enfance à Laufen am Rheinfall où j’ai grandi entouré d’une famille nombreuse, nous étions onze enfants. Mon père était pasteur et il était en étroite collaboration avec le directeur de l’hôpital psychiatrique qui occupait les bâtiments à l’époque. Avec des camarades nous nous amusions à descendre le Rhin à la nage jusqu’à Rheinau et ensuite nous avions deux bonnes heures de marche pour rentrer par le chemin qui longe le fleuve. C’est un endroit qui me tient à cœur et il fallait faire quelque chose de ce superbe site.

Le but du projet ?
Le projet est de mettre le centre de musique à disposition de chœurs, chorales, orchestres, écoles de musique et musiciens qui, aujourd’hui s’ils veulent se réunir pour une retraite ou un séminaire, manquent d’installations adéquates dans le pays. Le bâtiment comprendra 170 lits, des salles de répétition et de concerts où jeunes et adultes pourront se retrouver pour travailler la musique. Et cela permettra de redonner vie au bâtiment qui doit être restauré. Les travaux de rénovation seront financés par le canton de Zurich.

Les 20 millions que vous investissez dans la fondation s’inscrivent-ils dans la philosophie de la relance ?
La crise actuelle n’en est pas la raison. Je me suis intéressé à ce projet il y a deux ans déjà. Ce lieu est paisible et tranquille juste ce qu’il faut pour un centre de la musique. Mais il est vrai que dans une région essentiellement viticole, éloigné de la ville de Zurich et sans industrie c’est un projet créateur d’emplois qui est bienvenu.

Le projet qui est soutenu par la municipalité de Rheinau et par le canton de Zurich, prévoit aussi une cohabitation avec l’école ménagère. Est-ce un clin d’oeil à votre parti qui souhaite réintroduire l’économie familiale à l’école ?
C’est vrai, notre parti souhaite cette réintroduction. Dans un premier temps, le gouvernement avait dit non et, suite à une initiative, le peuple a dit oui. Donc, l’école ménagère occupera les locaux du lundi au vendredi; le week-end et les vacances, ce sera le tour du centre de musique. Une saine collaboration. Du reste, pour vivre en harmonie dans un ménage, la cuisine et la musique sont complémentaires! Il est vrai que du point de vue politique, le rapprochement est intéressant.

Le centre sera équipé de chambres aménagées simplement avec salles d’eau et WC et mises à disposition des hôtes pour un prix à la portée d’un vaste public. Une prise de conscience d’un meilleur partage des richesses ?
Notre vœu est d’offrir un lieu idéal pour la musique et même si les bénéfices ne sont pas le but recherché, il faut que le centre tourne financièrement si l’on veut qu’il subsiste. Nous ferons des calculs précis une fois les travaux terminés. Mais c’est un lieu réservé aux musiciens et pas simplement à des personnes qui veulent s’offrir un séjour dans un lieu magnifique. Il doit rester à disposition des orchestres et des chœurs. Et pour que la fondation vive nous devrons calculer un prix qui couvre les frais.

La musique joue-t-elle un rôle important dans votre vie?
Oui, bien que je ne joue d’aucun instrument. Nous étions onze enfants et tous jouaient d’un instrument y compris mes parents, sauf « Christoph ». Ils avaient même formé un orchestre. J’aime particulièrement la musique classique: Mozart, Haendel, Mendelssohn. Nous avons la chance dans notre pays d’avoir des concerts de grande qualité et je m’y rends avec un réel bonheur. Mais j’apprécie aussi le folklore et la musique de cavalerie.
Il y a quarante ans j’ai créé une école de musique dans la région de Meilen, Männedorf, Herrliberg. Aujourd’hui plus de mille élèves la fréquentent. Beaucoup de choses se font pour le sport ce qui est très bien, mais nous ne devons pas oublier la culture. La tradition de la musique est une valeur importante à transmettre aux jeunes enfants.

Depuis début 2009, on découvre de Christoph Blocher une image différente. Plus joyeuse, plus libre, enthousiaste aussi. L’image est-ce un vecteur important?
Je n’ai plus les contraintes liées à la fonction de conseiller fédéral et j’ai transmis mes entreprises à mes enfants. J’ai donc plus de temps. Je peux faire d’autres choses qui me plaisent. Je relève volontiers des challenges pour des clubs de jeunes ou d’autres sociétés locales.

Et votre candidature, malheureusement inaboutie, comme professeur d’étique à l’Université de St-Gall, de quoi s’inspirait-elle ?
Je crois que comme entrepreneur, homme d’industrie et d’économie, j’aurais pu transmettre à des jeunes des valeurs éthiques. Nous avons vu ce qui arrive lorsque l’on ne respecte pas une éthique dans les affaires. Si mon expérience pouvait inspirer une ligne de conduite aux étudiants, j’aurais été prêt à le faire gratuitement. Et la somme ainsi économisée aurait pu être ainsi investie dans un poste d’économiste par exemple. En toute logique, à 69 ans, j’ai dépassé l’âge requis pour une telle fonction. Même si ma candidature pouvait sembler une provocation, elle n’en demeurait pas moins sérieuse. L’éthique dans les affaires est primordiale.

Vous êtes un admirateur de sir Winston Churchill. Il disait: « Lorsque l’on traverse l’enfer, il faut toujours continuer… ». Est-ce ce que vous avez fait?
Quand Churchill est revenu au pouvoir et ça n’a pas été une réussite. Il était l’homme d’une situation très difficile, la guerre, et il est vrai que dans des cas graves, il faut savoir passer le mur des difficultés et il l’a fait. Moi, je continue, mais différemment. J’apporte mon expérience dans différents secteurs, je suis souvent à Berne où je rencontre des gens et poursuis ma politique. Ma place est aujourd’hui hors du gouvernement qui, heureusement, ne représente pas la Suisse à lui seul.

Vous avez pratiquement tout réussi dans votre vie. Y a-t-il des rêves ou des ambitions que vous avez abandonnés au fil du temps?
Si j’ai réussi, c’est parce que j’ai fait ce qui était nécessaire au bon moment. Quant à mes rêves, j’aime la montagne, lire et passer du temps à apprécier notre beau pays. Dernièrement j’ai participé à une émission de TV3 SAT (collaboration entre l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse). C’est un film qui se déroule sur trois jours en montagne. Le thème «La Montagne et l’esprit». Une magnifique expérience. Voilà, je fais des choses pour la Suisse lorsque l’occasion se présente. En ce sens, la fondation «Ile suisse de la musique de Rheinau» est un rêve que je réalise. Je n’abandonne jamais. Le temps de faire des choses est bien trop précieux.

Le travail est-il un moteur pour vous?
En quelque sorte oui. Je ne me vois pas rester assis dans ma propriété à attendre que le temps passe. J’ai besoin de cette stimulation pour vivre.

Actions projetées
Jusqu’à l’installation et à l’exploitation du centre musical sur l’île monastique de Rheinau durant l’été 2013, la Fondation «Ile suisse de la musique de Rheinau» propose des cours de musique conjointement avec les «Jeunesses Musicales» ainsi que d’autres projets musicaux et culturels. L’objectif est d’avoir un taux d’occupation de base dès le démarrage du centre musical.
Historique
L’ancien monastère de Rheinau de l’Ordre de S. Benoît est situé au bord du Rhin. L’église abbatiale, construite sous l’abbé Gerold II, entre 1704 et 1711 par l’architecte du Vorarlberg Franz Beer, témoigne de l’époque de la splendeur baroque. Les habitants de Rheinau sont de religion mixte depuis 1529.

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Dany Schaer - Journaliste-photographe

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